Autismes et inventions – Guy Poblome
16 février 2024

Autismes et inventions
Guy Poblome
Des institutions orientées par la psychanalyse travaillent avec la singularité des personnes autistes qu’elles accueillent. Pas question de protocoles mais d’inventions propre à chaque sujet !
J’ai eu l’occasion de participer à une journée d’échanges rassemblant les intervenants de plusieurs institutions accueillant des enfants, des adolescents ou des adultes souffrant d’autisme. Du fait de la gravité de leurs difficultés, ils ne peuvent pas bénéficier d’une scolarité, ou seulement très réduite, ou bien nécessitent un accompagnement institutionnel au long cours.
Cette journée fut l’occasion de quelques surprises, dont non des moindres fut que des parents étaient invités à s’exprimer, ce qui n’est pas fréquent lors d’un colloque de professionnels.
Pas de protocoles, mais des inventions
Autre surprise, l’accompagnement des personnes avec autisme par les professionnels ne se base pas sur des protocoles de soins ou d’apprentissages, comme on le prône de plus en plus aujourd’hui, mais sur la singularité des personnes accueillies, chacune étant foncièrement différente de toutes les autres. Il est vrai que ceci est une vérité évidente. De plus, force est de constater qu’aucune cause universelle n’a pu être isolée jusqu’à présent en ce qui concerne l’autisme. Il ne pourrait donc y avoir une méthode qui vaudrait pour tous. C’est la raison pour laquelle ces intervenants ont pris le parti de concevoir le traitement des sujets qu’ils accompagnent comme une invention chaque fois unique en son genre.
Pas de déficit, mais une richesse
Autre chose étonnante par rapport au discours habituel : l’autisme n’est pas ici considéré comme un déficit ou un handicap mais comme une souffrance qui témoigne d’une angoisse parfois extrême face aux manifestations du monde environnant. Les expressions de cette souffrance, au-delà de vouloir la dire, sont aussi des tentatives d’y parer. Parfois elles sont dérangeantes ou invalidantes et il s’agit d’aider chaque sujet à les transformer, mais d’autres fois elles sont surprenantes et joyeuses, et peuvent être encouragées et soutenues. Le fondement de cette pratique est donc une « clinique positive », prenant appui sur les symptômes comme étant une richesse plutôt que comme des défauts qu’il faut supprimer ou rééduquer. Ce qui fait le point de départ d’un accompagnement possible est une attention toute particulière à ce que présente la personne autiste. Celle-ci est en somme déjà au travail et les intervenants deviennent partenaires du sujet en emboîtant son pas, ils ne le devancent pas avec des méthodes auxquelles il devrait se soumettre. Respect !
Des enfants surprenants
La première séquence de la journée, après le témoignage de deux mamans, fut consacrée aux enfants. Les cinq situations présentées furent surprenantes, tant par l’inquiétante gravité de l’état de ces enfants dont l’angoisse est patente à leur arrivée, que par l’originalité des trouvailles et inventions des intervenants et des enfants qui ont permis un apaisement et une amélioration considérable de leurs souffrances. Il est impossible de rendre compte de l’extrême richesse des parcours de chacun. J’ai extrait deux points qui, dans le dire des intervenants, semblent essentiels dans leurs accompagnements.
Comment se faire un corps
D’abord, il y a le corps. Tous les enfants présentés ont des difficultés avec le corps. Ils ne semblent pas avoir d’image du corps constituée et leur vécu corporel paraît étrange. Et pourtant, certaines zones du corps sont très, voire trop, présentes pour eux. Ils évitent le regard, se bouchent les oreilles, peuvent refuser de manger ou au contraire ingurgiter la nourriture sans fin, ou encore présenter des problèmes allant de la rétention fécale à l’encoprésie. Ces quatre « trous » du corps constituent des zones d’échanges avec le monde extérieur. Or pour eux, ils semblent hermétiquement clos, ou bouchés. L’alternance ouverture/fermeture de ces orifices n’opère pas, comme s’il n’y avait rien qui leur faisait fonction de bord pour permettre les échanges. Ce qui les laisse enfermés dans une carapace.
Dès lors, ce qui est intéressant, ce sont les objets qui accompagnent toujours ces enfants, justement dans une proximité du corps, qu’ils manipulent d’une façon particulière, chacun à sa façon. Et, même si au premier abord ces objets semblent les isoler, c’est précisément en travaillant à partir de ces objets qu’un lien, un échange avec l’autre devient possible, qu’une phrase est fredonnée dans un micro, qu’un regard furtif est échangé dans le miroir, qu’un nouvel aliment est goûté à la dérobée, qu’une séparation devient possible avec les excréments.
Aborder la langue
Ensuite, il y a le langage. Les enfants avec autisme ont une sensibilité toute spéciale à la parole et aux mots. Ceux-ci peuvent les percuter, les toucher, les menacer, jusque dans le corps, qu’ils proviennent des autres ou d’eux-mêmes, même quand ils ne parlent pas comme c’est assez souvent le cas. Pourtant il est frappant qu’ils ne se limitent pas à se boucher les oreilles pour s’en protéger, mais qu’ils travaillent en permanence la langue, à partir de comptines, de chansons, de musiques, de livres, d’histoires, de dessins animés, de chiffres et de lettres, de la poésie et de l’écriture. Cette façon d’aborder la langue leur permet en même temps de se protéger des mots qui les agressent et d’en faire un usage inédit donnant accès à un lien nouveau.
Merci aux intervenants d’avoir transmis les trouvailles des enfants qu’ils accompagnent. Leur corps est aussi engagé, parfois malmené, dans ces rencontres et ils ont à calculer leur présence pour réussir à se faire partenaires acceptables et acceptés par les sujets autistes qui peuvent alors en user pour mettre en œuvre leurs inventions.
Cette journée fut organisée à l’initiative des Ateliers du 94 de Houdeng-Goegnies, et spécialement de sa coordinatrice thérapeutique, Katty Langelez-Stevens. Les institutions présentes étaient L’Antenne 110 de Genval, Les Ateliers du 94 de Houdeng-Goegnies, La Coursive de Liège, Le Courtil de Leers-Nord, Le Foyer Aurore de Bruxelles, Les Glycines de Braine-l’Alleud, Les Goëlands de Spy, Grandir de Bruxelles, La Porte Ouverte de Blicquy et Le Pré-Texte de Bruxelles. La journée fut parrainée par le CERA, Centre d’Études et de Recherches sur l’Autisme, émanant de l’École de la Cause freudienne, école de psychanalyse lacanienne.
Illustration : Oeuvre de Ariane Smet