Parents et partenaires ! – Sophie Brasseur

12 avril 2024

Parents et partenaires !

Sophie Brasseur

Des funambules à la recherche d’un équilibre

Pour commencer, et c’est une chance, il me paraît essentiel de dire que notre expérience familiale de collaboration avec les institutions et les professionnels qui ont accompagné Émile a été jusqu’ici très positive. Pourtant la première image qui me vient pour représenter cette collaboration serait celle d’un funambule perché sur son fil comme s’il cherchait constamment l’équilibre en s’accrochant à sa grande perche.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur chaque moment du partenariat avec les professionnels. Toutefois, j’ai davantage envie de partager le départ de cette collaboration, démarrage qui m’a paru fondamental.

Tout d’abord pour monter sur le fil, suspendu dans le vide, il faut une bonne dose de courage et de confiance : en soi, en l’autre et en son enfant. Pour nous, ce fut tout un travail. En vérité, il en faut du courage pour confier à d’autres le développement de son enfant. Et il nous en a fallu quand, en tant que parents, nous nous sommes rendu compte que nous n’arriverions pas à l’accomplir seules. Seules, c’est-à-dire, sans une aide particulière de professionnel. Même si cela peut paraître absurde en l’écrivant a posteriori, nous avons dû d’abord dépasser un énorme sentiment de culpabilité qui accompagnait cette étape.

À ce moment-là, à ce tout début, ce qui fut déterminant pour nous, c’est une absence de jugement dans le regard des professionnels que nous avions en face de nous. Je dois dire – et je le déplore encore aujourd’hui – que ce ne fut pas le cas de tous les professionnels que nous avions rencontrés à l’époque. Était-ce le produit de notre imagination ? Peut-être… Toujours est-il que nous n’avons pu monter sur le fil fragile du funambule que lorsque nous nous sommes senties considérées comme partenaires, et non comme des dépositaires d’un « objet » dont nous serions ensuite dépossédées.

Ce sentiment désagréable de se trouver dépossédées se cristallise en partie autour d’une organisation concrète de l’accueil, organisation qui a certainement sa raison d’être du point de vue de l’institution, mais qui, dans ces moments émotionnellement intenses pour les parents, pourraient nous faire basculer dans le vide avant même d’avoir commencé la traversée.

Par exemple, lorsqu’il s’agit d’une institution où nous, parents, ne pouvons pas avoir accès au lieu de vie de notre enfant pour ne pas perturber voire entrer en contact avec les autres « patients » du centre ! Ou encore de savoir que notre enfant sera déposé à la grille alors même que la séparation est compliquée. Nous craignons encore de n’avoir des contacts qu’avec le responsable thérapeutique sans pouvoir rencontrer les personnes qui travaillent au quotidien avec notre fils. Enfin que dire des moments où venant simplement prendre des renseignements, nous nous retrouvons dans un interrogatoire serré sur nous, notre fils et notre mode éducatif…

L’équipe avait envie de rencontrer Émile, et non pas un enfant « déficient » !

Dans notre cas, l’accueil chaleureux et la bienveillance de l’équipe de l’Antenne 110 ont été une marche solide pour nous lancer dans l’aventure. Lors de notre première rencontre, les enfants et les intervenants vaquaient à leurs occupations tout autour de nous au sein des locaux.

Je me rappelle encore très bien aussi avoir senti d’emblée que l’équipe avait envie de rencontrer Émile, non pas un enfant « déficient » dont elle avait besoin de connaître les « lacunes » pour pouvoir le « prendre en charge ». Émile, notre enfant dans ce qui fait sa riche singularité. Je me souviens aussi avoir eu la sensation que nos interlocuteurs comptaient sur nous comme partenaires dans cette rencontre. Non pas pour nous dire comment nous devrions éduquer notre enfant « extraordinaire », mais bien comment nous pouvions, ensemble, l’aider à se développer.

Et encore, je ne vous parle pas ici du moment où nous avons pu envisager un internat pour notre fils. Avant que nous acceptions cette idée et malgré les six ans de nuits incomplètes, l’immense fatigue et la patience à toute épreuve face à un endormissement difficile et impossible à faire seul pour Émile pendant toutes ces années, il y aura tout un filet de confiance et de sécurité à tisser ensemble avec l’équipe ! Je n’ose imaginer la difficulté et la culpabilité des parents qui doivent prendre cette décision d’emblée soit parce qu’ils n’ont pas d’autres choix ou que la distance géographique les y contraint. Tous les parents ne sont sans doute pas aussi « mères poules », mais je n’en ai rencontré aucun qui fasse ce choix de gaieté de cœur.

Ce premier pas, fondamental, n’est pourtant encore que le début d’une traversée périlleuse qui peut voir le lien de la confiance et du partenariat basculer à tout moment. Comme au départ, à la prise de contact, ce lien me paraît tenir parfois à des éléments du quotidien qui peuvent sans doute paraître anecdotiques, mais qui font pourtant toute la différence.