Le corps dans tous ses états – Marina Puissant et Gwendoline Possoz
20 mai 2024

Illustration: Ghislaine Bordez-Ateliers du 94
Le corps dans tous ses états. La main à l’oreille
Marina Puissant et Gwendoline Possoz
Témoignage de Danielle : Dominique est un petit garçon en bonne santé, les médecins amenés à l’ausculter nous disent toujours que cet enfant est médicalement parfait. Pourtant ce petit corps est continuellement en mouvement, Dominique saute, il crie, il danse, il tombe souvent, mais il faut reconnaître que cet entraînement lui donne beaucoup de souplesse. Longtemps, il a testé ses limites, il montait sur tout, voulait rester en équilibre, mettant mes nerfs à rude épreuve, ainsi que ceux de sa psychomotricienne. À la moindre note de musique, il agite bras et jambes dans de grands mouvements trop structurés. Il aime danser, mais il ne sait pas comment s’y prendre. Parfois, il utilisait son corps pour calmer ses colères, il se frappait ou se griffait. Il se calmait une fois qu’il avait laissé une trace. Ces accès de colère se font plus rares, il arrive petit à petit à s’apaiser en se défoulant sur des objets, et même avec des mots… Progressivement, il découvre son corps sous un autre angle, comme une entité qu’il chouchoute et qui lui apporte du plaisir. Il aime les câlins et, quand il se détend, il met son pouce en bouche, se caressant le ventre de l’autre main. Il reste des heures dans son bain, quand il en sort il se badigeonne de crème hydratante. Mais il ne veut rien lâcher, pas question de lui couper les ongles, le brossage de dents est également un combat pour lequel il faut user chaque jour de stratégies diverses et variées pour qu’il daigne brièvement caresser sa dentition. Le coiffeur a longtemps été une étape difficile, seule la coiffeuse du village ose s’y atteler. Il aura fallu plusieurs années pour qu’il lui confie sa tignasse sans que je doive lui maintenir la tête. Nous avons eu le malheur de lui dire un jour : « maintenant, on va couper derrière les oreilles » et pendant plus d’un an Dominique a mis la main à l’oreille dès qu’on lui parlait du coiffeur. J’ai utilisé alors la même stratégie que pour ses ongles. Je lui coupais les cheveux en cachette quand il s’était endormi.
Plutôt que de rester bloqués, figés, voire anéantis, tant par les difficultés du quotidien que par le regard des autres, les parents de l’association La Main à l’Oreille se proposent de partager et de mettre en avant leurs trouvailles. Et il y en a ! Chaque situation est différente, chaque enfant ou jeune est différent, mais pouvoir dire qu’on n’y arrive pas, partager ses préoccupations et entendre celles d’autres parents, ce que chaque famille arrive à bricoler, permet à quelque chose de circuler.
De rencontre en rencontre, de témoignage en témoignage, d’échange en échange, quelque chose peut se tisser, se décanter, prendre une autre tournure, voire bouger.
Comment faire dans un monde submergé par les normes (sociales, éducatives, scolaires, etc.) alors que nos enfants sont hors normes justement ? Un poids énorme pèse sur nos épaules. Partager avec d’autres a des effets d’allègement ; cela aide. Et plutôt que de vouloir faire correspondre notre enfant avec la norme – ce qui est impossible – comment faire avec ses particularités ? Qu’inventer ? La parole est à chacun et chacune !
Prochaine rencontre, sur le thème de l’inclusion, le dimanche 9 juin 2024, pour plus d’informations : lamainalo@gmail.com.
