S’agripper – Phénicia Leroy

12 novembre 2024

S’agripper                                                                                                                                                                                                    Illustration : Logan Dereuter – Ateliers du 94

Phénicia Leroy

Au SASJ Les Glycines, nous accueillons notamment des enfants autistes. Cet accueil de jour, se fait sous la forme d’ateliers divers, toujours articulés aux intérêts des enfants. Nous veillons à repérer les conditions nécessaires pour que chaque enfant trouve une manière de faire avec les autres, avec la langue, avec son corps.

La rencontre avec Martin, arrivé à l’âge de trois ans, m’a beaucoup enseigné sur la façon dont nous pouvons accompagner un enfant à trouver et complexifier sa solution.

Lors de notre première rencontre, Martin agrippe mon corps. Il passe ensuite de bras en bras. Avec les autres enfants, c’est compliqué : il arrache leurs objets, les bouscule ou leur saute dessus. Les enfants en pleurs le happent. Plus nous cherchons à le décoller de l’autre, plus il s’accroche et hurle. Sans cette accroche aux autres corps, Martin est une balle de flipper. Être pris dans les bras, grimper sur les genoux, cogner les corps sont autant de façons de se tenir auprès de l’autre dans un premier temps.

Au fil des mois, il consent à s’accrocher à la lanière de mon sac ou à tenir la main plutôt que d’être dans les bras. Le matériel proposé au sein des différents ateliers aux Glycines lui permet peu à peu de manipuler, de transvaser, d’échanger. Branché sur les objets, avec l’intervenant, l’agitation s’atténue. Ses opérations sur les objets se sont intensifiées et nous les avons soutenues au travers des ateliers.

Simultanément, nous avons été attentifs à la manière dont Martin s’occupe de la langue. Arrivé en produisant des sons mélodieux issus de comptines, il s’est mis à dire des bouts de mots. De petites phrases apparaissent, contextualisées et reconnaissables malgré leur prononciation écorchée, parce que sans consonne. Cette entrée dans le langage s’emballe un moment, il se met à répéter tous les bruits environnants, avec l’exacte tonalité. On s’en enseigne, mais en modulant nos voix, en exagérant les tonalités, en insérant des rimes. Ça le fait sourire et il s’y accroche. L’agrippement, l’accroche, voilà la solution de Martin. Certaines phrases entendues deviennent des formules qui organisent le quotidien et tempèrent les débordements.

Par ailleurs, des liens particularisés se créent. Il nous nomme et se souvient de ce qui a été fait avec les uns et les autres. Dès que j’apparais dans son champ, il accole mon prénom à des activités réalisées ensemble.

Un jour, devant un module de jeu, il tire mon pull et insiste pour que je grimpe avec lui. Je lui propose une accroche via le regard et la voix. Il vérifie que je sois à proximité et peu à peu, il répète la phrase d’encouragement et reproduit les applaudissements une fois arrivé en bas du toboggan. Accroché à ce petit « bout de moi », Martin peut y aller.

Si Martin peut désormais s’accrocher aux objets et aux signifiants pour atténuer ce qui l’agite, c’est de façon continue qu’il tente de traiter cette langue qui, sans cesse, percute son corps. Il arrive que ce traitement déraille et nécessite des partenaires. En ce sens, Martin ne cesse de nous enseigner que nos interventions visant à endiguer la jouissance, avant d’être parlées et porteuses de signification, s’articulent d’abord au corps et aux objets présents dans l’institution.