Provoquer n’est pas vouloir – Jessy Debroux

10 décembre 2024

                                                                                                                                                                                                                              Illustration : Ghislaine Bordez – Ateliers du 94

Provoquer n’est pas vouloir

Jessy Debroux

La journée du 26 septembre 2024 avait pour thème « Provoquer la rencontre, l’autisme nous concerne ». Très intéressée par ce thème, je me suis rendue à cette journée sans attente particulière si ce n’est celle de découvrir ce que pouvait être la rencontre pour chacun, me voilà donc déjà concernée.

Il n’est pas question ici de retranscrire le contenu de cette journée, mais plutôt de faire part de ce qui m’a attrapée.

Tout au long de la journée, nous avons pu entendre les discours de chacun, qu’il s’agisse d’intervenant, de parent, chacun relatant sa rencontre avec un adulte, un enfant ou encore son enfant. Autant de rencontres que de sujets. Des rencontres toujours contingentes. Tous les témoignages entendus lors de cette journée avaient pour principal point commun, il me semble, l’absence de « vouloir ».

En effet, provoquer ne signifie pas vouloir, on ne « veut » pas une rencontre. Il n’est d’ailleurs pas rare de pouvoir témoigner d’un vouloir conduisant à une impasse. Autrement dit, la surprise a sa place dans la rencontre. Pas de recette magique, pas de protocole, pas de mode d’emploi. Non, rien de tout ça.

Mais alors, comment provoquer la rencontre ?

En se promenant, une promenade vide d’intention – puisqu’il ne s’agit pas là de vouloir –, mais pas vide de désir, un désir orienté vers la singularité du sujet. Il s’agit d’être distrait de toute intention ; il s’agit aussi d’être averti de sa propre singularité. Car oui, une rencontre n’est pas à sens unique. Nous prenons ce que le sujet apporte et le sujet nous prend quelque chose. Une rencontre produit une perte, quand la satisfaction de l’un rencontre la satisfaction de l’autre.

Une promenade sur des chemins de traverse au bout desquels il sera possible de dire les résultats logiques dans l’après-coup.

Je repense à cet enfant avec lequel j’ai travaillé durant mon premier stage, il y a de ça quelques années. Finalement, ma première rencontre avec l’autisme. En retrait constant, Tom n’avait de cesse de faire tourner des objets sur eux-mêmes, cela s’accompagnait parfois de rires, mais souvent de pleurs. Il pouvait également tourner sur lui-même, seul dans un coin de la pièce ou du jardin. Naïvement, j’avais tenté de faire tourner les objets de la façon dont il le faisait sans y parvenir bien sûr. Coup dans l’eau ? Pas si sûr. Je me souviens avoir pu dire à l’intervenante que je ne comprenais pas comment il arrivait à faire tourner tout objet de façon si adroite, que j’avais essayé, mais que je n’y arrivais pas. Quelques jours plus tard, Tom est venu me prendre les mains et m’a entrainée dans un tournoiement à deux, durant de longues minutes. Pour m’apprendre par la suite à faire tourner les objets comme lui. Là où il pouvait y avoir de l’angoisse dans l’itération de ses manipulations, la rencontre a permis à ce que l’itération puisse provoquer un petit peu de joie. Ces moments d’enseignement de sa part, tentant inlassablement de m’apprendre à faire tourner les objets, s’accompagnaient d’éclats de rire, puisque bien sûr je n’y suis jamais parvenue. Et tant mieux.