A l’époque de l’inclusion pour tous, en quoi une institution comme l’Antenne 110 est-elle encore nécessaire ? – Micaela Frattura
9 septembre 2025

À l’époque de l’inclusion pour tous, en quoi une institution comme l’Antenne 110 est-elle encore nécessaire ?
Micaela Frattura
Quand Alicia arrive à l’Antenne 110, elle n’avait jamais intégré aucun établissement éducatif.
La discordance entre son âge et son rapport au corps était frappante. Ses violentes « crises » automutilatoires envahissaient la journée. Outre ces moments, elle s’attelait à faire de longues listes de mots appartenant au même champ sémantique, apprises sur YouTube, tout en effectuant des opérations de vidage-remplissage.
Cette répétition pouvait être jubilatoire, mais elle pouvait aussi dériver vers une tentative d’extraction de l’en-trop dans le réel. Ainsi, une matinée, Alicia semble envahie par le mot « carotte » qu’elle répète avec différentes intonations de la voix, jusqu’aux cris. L’intervenante parle « des cris ». À ce moment, la maîtresse de l’école rentre dans la pièce et Alicia se retournant vers elle crie : « L’écrit ! » Trouvaille du sujet, Alicia prend la main de la maîtresse pour monter à l’école écrire des mots. Alicia s’applique à trouver un moyen de localiser et mettre un point d’arrêt au « bruit incessant de la langue » qui lui crie toutes les équivoques possibles (« française-princesse », « Karin-farine », « on range-orange-dérange »).
Durant l’atelier modelage, nous construisions toute une série d’objets à partir des mots de son univers. Au fil du temps, Alicia demande de construire un bonhomme en nommant chaque partie du corps.
Parallèlement, à l’atelier peinture, elle peignait sur la table autour de la feuille soigneusement scotchée par l’intervenante devant elle, qui restait blanche. Au fur et à mesure, ce travail s’est complexifié : elle a commencé à tracer des lignes sur le visage de l’intervenante qui nommait « la bouche », « les yeux »… Finalement, c’est sur son visage dans le miroir qu’elle s’est mise à répéter l’opération.
Nous pouvons faire l’hypothèse qu’Alicia s’appliquait à construire l’image de son corps à partir d’un double travail : les traits de pinceau/modelage et la nomination qui les accompagne.
Une soirée avant d’aller se coucher, « une crise » s’annonce. En prenant appui sur le lien instauré au fil des ateliers, l’intervenante s’entend lui dire : « EH OH ! Elle peut pleurer si ça ne va pas, mais on n’est plus obligé de se taper ! Il y a les larmes. » Alicia s’arrête. Des larmes coulent de ses yeux. Finalement, elle s’arrache un mot : « Baby-tv ? » (Chaine YouTube qu’elle affectionne) Un temps avec la tablette s’installe chaque soirée avant d’aller au lit jusqu’au moment où le lampadaire de la rue s’allume, signe que c’est la nuit et qu’elle peut aller dormir. « Un doux forçage » qui convoque le sujet à « troquer le réel pour du semblant » a eu lieu avec ces effets d’apaisement remarquables.
Ces inventions sont des appareillages pour Alicia, elles constituent son savoir et signent sa présence singulière dans le monde. Alicia a pu s’inclure dans la communauté des êtres parlants, à condition d’avoir trouvé un lieu, une place dans le discours de l’Autre, qui fasse lien, qui puisse dire que non, sur fond d’un oui à l’emprise de la pulsion qui cherche à se satisfaire. Un oui qui puisse permettre de troquer l’insupportable contre un lieu de rencontre, sans faire l’impasse de l’impossible qui se trouve dans son fondement.
Si dans l’imaginaire collectif, l’inclusion renvoie à l’inclusion scolaire « pour tous », Alicia, comme tant d’autres sujets que nous accueillons dans nos institutions, témoigne que « pour eux », l’enjeu est ailleurs et implique de pouvoir s’inclure dans le lien social, c’est-à-dire dans l’école de la vie avec les autres.
Comment ne pas nous demander : « quelle joie trouvons-nous dans ce qui fait notre travail ? » Cette joie implique de consentir à « l’amour du réel », comme le disait Virginio Baio.
Lors de la journée anniversaire pour les 50 ans de l’Antenne 110, nous aurons l’occasion d’entendre des témoignages d’intervenants qui ont consenti à devenir partenaires de ces sujets pour les soutenir dans leur travail de construction subjective.
Nous y sommes intimement concernés !