M’olienne – Pierre Jacobs

12 avril 2024

M’olienne

Pierre Jacobs

Les demandes d’accompagnement d’enfants qui rencontrent des difficultés dans leur début de vie se multiplient au sein du Dièse[1]. Des parents, inquiets, nous interpellent, car leur enfant ne parle pas, n’entre pas en lien et reste en retrait, ou encore ne tient pas en place, fait des crises qui les laissent sans solution. Les premiers pas de l’enfant à l’école viennent souvent confirmer l’inquiétude des parents, ce dernier n’arrivant pas ou difficilement à s’inscrire dans le cadre scolaire et dans les prérequis nécessaires pour démarrer les apprentissages.

La multiplication de ces demandes a soutenu notre désir d’offrir à ces jeunes enfants un espace d’accueil en petit groupe durant une matinée par semaine. Non pas avec pour objectif princeps de les accompagner à une plus grande autonomie ou encore de se rapprocher d’une normativité supposée, mais plutôt comme un lieu d’adresse et d’accompagnement de leur modalité d’être singulière et d’un trajet à construire toujours singulier.

Le jeune enfant est certes en pleine constitution, mais nous ne l’abordons pas comme un individu qu’il s’agirait de guider sur « de bons rails », mais comme un sujet à part entière qui a un certain rapport au langage, à l’Autre, à son corps, etc.

Armel, par exemple, est accueilli à l’aube de ses trois ans. Il ne parle pas, a difficile à tenir en place et à prendre conscience de son corps. Il circule d’un bureau à un autre, sort tout le matériel des armoires et vient y loger son corps. Rapidement, Armel montre son intérêt pour la pâte à modeler ; ce qui va permettre de nous poser autour d’une table. La pâte à modeler est d’abord investie comme surface d’inscription de traces et de formes ; ensuite, comme matière qui peut se dresser. Des formes abstraites, mais aussi des constructions plus représentatives. À côté de la pâte à modeler, Armel s’outille également de briques de construction à emboiter pour élaborer ses constructions. 

Un objet plus particulièrement le fascine et se met en forme : l’éolienne.

Pendant plusieurs mois, Armel érige pour ensuite disposer de façon structurée ses productions ainsi que les nôtres sur la table, puis dans tout l’espace de travail. L’organisation dans l’espace a toute son importance. C’est précis, cela structure à la fois le champ spatial, mais aussi le champ visuel. En effet, Armel dispose dans l’espace chacune des productions en regard des autres. Il les observe et les regarde selon différents angles de vue, chacune y trouve sa place à partir de la place de l’autre. Il ponctue aussi son travail en allant se regarder dans un grand miroir et ensuite poursuivre. L’espace – à commencer par celui de son corps – se dessine et prend forme. S’articule aussi une nomination (de l’objet et/ou de lui-même) : « M’olienne ». 

Lors de nos rencontres hebdomadaires, à sa demande, nous partirons explorer les parcs éoliens de la région. Nous construirons également une éolienne, moins éphémère que les autres, qui prendra place dans le local. 

Bien que sa passion se soit quelque peu déplacée, Armel a toujours aujourd’hui un vif intérêt pour les éoliennes. Après avoir investi le train et ses circuits, Armel s’intéresse pour le moment tout particulièrement à l’univers de Mario et de ses amis (Princesse Peacch…)[2]. Il y joue sur une tablette durant une partie du temps de nos rencontres. Tout en jouant, il nous parle des personnages qui animent cet univers, des aventures et mésaventures qui arrivent à Mario dans le jeu, des épreuves qu’il doit affronter. Il nous interpelle quand Mario échoue pour l’accompagner à faire face à la perte. Il invente aussi des petites histoires où il est Mario et nous invite à prendre part à ces petites mises en scène. 

Un trajet qui n’est donc pas tout tracé à l’avance, mais qui repose sur la rencontre vivante et vivifiante avec Armel, qui s’oriente de ses signifiants et de ses objets ainsi que de sa modalité d’être au monde.

Un trajet à nul autre pareil…

 

[1] Il s’agit d’un service de santé mentale (SSM) ambulatoire situé en province de Hainaut en Belgique.

[2] Jeux vidéo mettant en scène la mascotte Mario.