L’atelier Vivant – Chloé Dillies
2 septembre 2024

L’atelier Vivant Illustration: Antenne 110
Chloé Dillies
À l’Antenne 110, nous accueillons des enfants se trouvant dans l’impossibilité de s’inscrire dans le lien social et les apprentissages tant leur rapport au monde et à leur corps est difficile. Ces enfants arrivent bien souvent avec un diagnostic de « trouble envahissant du développement » accompagné du signifiant « autisme » et du long parcours d’exclusion qui le sous-tend.
Les journées à l’Antenne sont scandées par différents temps de travail : des moments du quotidien et des ateliers. Chacun de ces temps est une occasion de faire le pari d’un partenariat avec l’enfant, afin qu’il puisse inventer ses solutions et s’inscrire dans un lien social possible pour lui et pour les autres. En tant qu’intervenante, je propose dans ce texte de traiter des ateliers thérapeutiques à partir de la question suivante : « Sur quoi chaque sujet peut s’accrocher dans un atelier en institution ? » Je développerai ma réflexion en m’appuyant sur « l’atelier Vivant ».
Cette année, j’ai accueilli un groupe de trois enfants sur le chemin de l’exploration du Vivant, un quatrième enfant nous ayant rejoints en cours d’année. Cet atelier est une invitation à appréhender la part vivante en chacun de nous, celle qui nous fait vibrer. L’offre est celle d’aller découvrir les merveilles de la forêt et des animaux. En effet, quoi de plus vivant qu’une forêt ?
En début d’année, n’ayant jamais travaillé avec certains des enfants du groupe et soucieuse d’ouvrir un espace singulier pour chacun, je propose de se rassembler dans la pièce Créa, où nous travaillerons lors des jours de mauvais temps ou pour toute autre raison qui nous empêcherait de sortir en forêt. Appareillée d’un petit sac avec des figurines d’animaux et de mon baffle sur lequel je connecte mon téléphone par Bluetooth afin de faire défiler la playlist de l’atelier, j’annonce avec beaucoup d’enthousiasme que l’atelier Vivant va commencer !
Avec surprise, les enfants me suivent. L’un se saisit de mon baffle qu’il porte à la bouche et ensuite à l’oreille, l’autre chante et suit la musique, l’autre encore tient mon petit sac. Arrivés dans la pièce Créa, l’un se saisit des livres, l’autre s’intéresse aux autocollants de la nature, l’autre encore s’installe avec nous en portant toujours l’enceinte à l’oreille. Certains enfants ne parlent pas, ils n’interagissent pas tellement avec moi ni entre eux, si ce n’est, à l’occasion, pour se saisir d’un objet déjà convoité par un autre. Et pourtant ils sont tous là. Je me mets à lire, de mon côté, un chapitre d’un livre racontant des histoires sur la forêt, les saisons, les animaux. Je ne sais pas si quelqu’un m’écoute, mais, en ce qui me concerne, j’en apprends beaucoup. Toutefois, je me rends compte qu’Icham a laissé le baffle sur la table et s’est assis sur mes genoux. Je poursuis et suis surprise de constater qu’il semble réceptif à la musicalité de ma lecture.
La semaine suivante, j’arrive toujours appareillée de mon baffle et de mon sac. J’annonce aux enfants et à la stagiaire qui nous accompagnera que nous allons en forêt. Nous prenons tout un temps à nous mettre en route, car les enfants ne sont pas autonomes ou ont besoin de leur rythme propre pour se préparer. Une fois arrivés en forêt, les enfants m’ont bien indiqué qu’il ne fallait pas aller loin pour se trouver embarqués dans une grande aventure. Lucie est émerveillée et aimerait beaucoup emporter tous les petits champignons qu’elle trouve en cette saison automnale. Alors que je lui indique que nous allons les laisser où ils sont, car ils peuvent être dangereux pour notre santé, elle leur bricole des petites maisons avec des brindilles pour les protéger, délicatement. Elle en glissera tout de même un petit dans le sac des « trésors de la forêt ». Il n’a pas fallu très longtemps à Rémi pour se jeter sur les champignons, dès le moment où j’ai indiqué à Lucie qu’il ne fallait pas les toucher. Toutefois, il laisse tomber l’affaire quand je lui propose de ramasser un tas de feuilles afin de les lancer en l’air autour de lui. La magie opère, il rit et repart vers ses propres explorations. Malgré ma crainte qu’il s’en aille sans se retourner alors qu’il s’encourt droit devant sur le chemin, celui-ci s’arrête et fait des allers-retours vers le groupe. Icham, quant à lui, peine à marcher parmi les cailloux, les creux et les racines d’arbre. Le chemin en forêt n’est pas un long fleuve tranquille. Toutefois, accompagné de ma voix chantante et de mon bras qui le soutient, il prend plaisir à marcher.
Au fil des ateliers, de chouettes découvertes ont continué à se présenter à nous, mais aussi des impasses. Un jour Rémi est tellement envahi par les interdits qu’il s’embarque dans tous les impossibles qu’il trouve, me laissant en difficultés pour trouver des détours afin d’orienter le travail vers d’autres horizons. Un autre jour Icham est déterminé à ne pas lâcher sur son exigence de pouvoir avoir accès à un écran afin d’y visionner des vidéos de comptines, objet que nous allons chercher habituellement à la fin de l’atelier pendant le goûter. Il hurle alors de tout son être, n’entend plus rien d’autre et se laisse aller à la pesanteur en y mettant tout son poids, ce qui me laisse perplexe. Une autre fois encore, Lucie qui est toujours la plus motivée pour aller en forêt me dit « NON ! » alors que je l’invite à s’habiller. Ce « non » se répète de semaine en semaine ; je décide alors de soutenir sa parole. Je l’invite à aller l’adresser auprès du directeur. Plusieurs semaines après elle me dira que dans la forêt, il y a des orties qui piquent. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? La forêt peut aussi être effrayante. Comment y retourner en prenant en compte ce « trop » de vivant qui l’habite, faisant partie de chacun de nous ?
Finalement, il me semble qu’au sein de l’atelier Vivant, quelque chose a pu être accroché par chacun, à sa manière. Je ne dirais pas qu’une dynamique de groupe s’est installée, mais plutôt que le signifiant « Vivant » est venu résonner en chacun. Icham s’anime en promenade avec la mise en mouvement de la voix et se met marcher avec plus d’assurance, Lucie, quand elle a pu participer, s’intéresse à la vie des animaux et ce n’est pas sans effet pour traiter ses angoisses, Remi interroge les notions d’espace, de limite lors de nos promenades en groupe ; il y affine son sens de la découverte et du petit détail.
Mais au fond, qu’est-ce que ce « quelque chose » qui accroche ?
Je dirais que, au-delà du média, cela pourrait être la part de Vivant que l’intervenant investit au plus profond de lui-même. Celle qui lui permet de se laisser surprendre, d’être sans cesse en mouvement, en questionnement. C’est en tout cas le pari que je me suis donné en construisant l’Atelier Vivant cette année. Un pari désirant.