La soucoupe, un lieu pour chaque un – Phénicia Leroy

21 janvier 2025

                                                                                                                                                                                                                                  Illustration : Aline Jauniaux – Ateliers du 94

La soucoupe, un lieu pour chaque un

Phénicia Leroy

La soucoupe [1 ]  accueille des enfants et jeunes autistes, dans le cadre d’activités de loisir. La plupart des parents que nous rencontrons expliquent qu’ils peinent à trouver des activités extra-scolaires pour leur enfant. Soit parce que celui-ci n’est pas assez autonome, soit trop sollicitant, soit trop dans sa bulle… trop ceci ou pas assez cela. Les parents nous expliquent également qu’il leur est difficile de s’octroyer un temps pour souffler. Partant de ces constats, La soucoupe propose des activités ludiques adaptées [2], alliant offre de soutien, de répit et de loisir pour les enfants et leurs parents.

Pendant quelques années, j’ai croisé Fleur, une jeune fille de treize ans maintenant.

À La soucoupe, Fleur parle fort et abondamment, de manière théâtrale. Souvent, ses questions « flottent ». Vouloir entamer la conversation est trop intrusif, elle demande qu’on la laisse tranquille ou l’indique en s’éloignant. Répondre à sa question produit une sorte de « retombée », désintéressée, elle est déjà à autre chose. Il arrive qu’elle se parle à elle-même et si l’on intervient, elle nous ignore.

Au fil des années, à La soucoupe, Fleur aime dessiner, écouter de la musique, se promener, utiliser l’iPad, se mettre du vernis, préparer des cookies… Grâce à ces différents intérêts, il a été possible de nouer un lien avec elle. Lors de la pause de vernis, elle se confie sur sa maman. Lors de la confection des cookies, elle nous transmet son savoir en pâtisserie. Sur l’iPad, Fleur visionne en boucle des vidéos de dessins animés. Il y est question d’amour, de puberté, de ruptures, de copains, thématiques en lien avec « la vraie vie ». Elle rit, répète ou commente ces vidéos, ce qui peut permettre des brins d’échanges avec nous. Il est ainsi arrivé qu’elle consente à bien vouloir m’expliquer l’histoire d’un dessin animé que je ne connaissais pas.

Quand Fleur rencontre une difficulté – par exemple : si un de ses objets s’est cassé, si elle est dérangée par un autre enfant, ou si elle se blesse –, il s’agit de proposer de l’aide tout en évitant de provoquer la surenchère des cris que l’intervention pourrait nourrir. Il arrive qu’elle demande de l’aide, tout en reculant quand je m’approche avec du désinfectant. Dans les premiers temps, elle ne supporte pas les autres jeunes et interroge en hurlant leurs bizarreries. L’usage du semblant est opérant : formules princières ou reprises de dialogues entendus dans des vidéos. Elle est aussi sensible aux attentions discrètes, comme ce samedi où elle abime la tirette de son sac à dos licorne auquel elle tient. Je prends soin de remettre la petite boucle de tirette fragilisée et préviens sa mère au moment du départ. Fleur ne me remercie pas, mais ce petit soin apporté au sac semble compter ; par la suite, elle soulignera plusieurs fois que j’ai réparé son sac.

Après ces années d’accueil, Fleur parvient plus clairement et calmement à dire quand quelque chose la dérange. Plutôt que de hurler, elle nous dit : « Vous devez arrêter », ou à propos d’un autre enfant : « Il faut qu’il s’éloigne. »

Finalement, de mes rencontres avec Fleur à La soucoupe, je retiens son inventivité pour dire l’insupportable. Lors de la grande fête d’inauguration, Fleur entre en s’exclamant : « C’est ma soucoupe, pourquoi tout le monde est ici ?! », formule marquante, qui résonne pour moi avec le fait qu’à La soucoupe, – enfants et intervenants –, chaque un trouve à loger un peu de soi. 

[1] La soucoupe, située à Bruxelles, accueille des enfants présentant des difficultés à s’intégrer dans le cadre des offres extra-scolaires classiques. www.soucoupe.be

[2] Samedis loisirs, ateliers thématiques (Matière, Conte, Son), répits individuels, et depuis peu, accueil pour les tout-petits et stages pendant les congés scolaires.