Partenaire objet – Dimitri Neijns

25 février 2025

Partenaire objet                                                                                                                                                                                                           

Dimitri Neijns

C’est dans le cadre de mon travail d’intervenant à l’IMP Le Courtil, et plus précisément au semi-internat de l’un des groupes de vie de l’institution qui propose un accueil plus spécifique pour des enfants diagnostiqués autistes que je fais la connaissance de Stuart en septembre 2023. Il se présente d’abord silencieux, sur le bord des pièces ;  il s’appareille d’une peluche qu’il transporte partout et dont il est imprégné dans son style vestimentaire.

Chaque lundi matin, nous travaillons ensemble dans un atelier que j’anime qui donne accès à des outils numériques. D’emblée, il m’indique qu’il souhaite regarder une compilation de mini épisodes d’un dessin animé à l’effigie de sa peluche favorite avec mon ordinateur portable. Ainsi, il lance une compilation et rejoue en boucle deux séquences. Dans la première, le personnage et son ami robot sont punis en étant mis à la porte de la maison parce qu’ils ont cassé la télévision avec un rayon laser. Dans la deuxième, des personnages reçoivent un emblème alors qu’ils sont très tristes et défilent fièrement avec celui-ci accroché à leur veste sur une musique très forte et au ralenti juste après. De mon côté, je ne comprends pas très bien ce qu’il est en train de faire, mais je me fais docile à son travail en me faisant garant de celui-ci, et ce chaque semaine. Je tente parfois de commenter ce qu’il se passe à l’écran, ou de lui poser des questions, mais cela a pour effet de mettre fin à l’itération. Il ferme alors la page internet, me demande de remettre la compilation et reprend son travail seul. À ce stade, je suis garant de l’objet, mais gare à moi d’en parler. Toutefois, frustré par le manque de marge de manœuvre qu’il me laisse, chaque semaine je glisse par inadvertance dans la pièce des figurines à l’effigie du dessin animé qu’il regarde, dont il se saisit et qui disparaissent malencontreusement dans son sac. Aussi, si je m’assois silencieusement à côté de lui, entre deux séquences il peut parler de ce qu’il se passe à la maison, explique qu’il est content de venir, ou encore récite le programme de sa journée. Ce que je ne sais pas encore à ce moment-là du travail, c’est qu’il est en train de m’apprendre quelque chose de lui lorsque j’observe et participe à ce travail… Au fur et à mesure de l’année, Stuart s’ouvre, non sans coup d’éclat. Il embête notamment beaucoup les autres jeunes et à la maison ses sœurs, pouvant aller jusqu’à les frapper. Le décaler de ça en pointant l’impossible ne faisait qu’augmenter son agitation. Mais un jour, alors qu’il commençait à s’agiter fortement à l’égard des autres en leur criant : « T’es puni ! », il me semble reconnaître la séquence qu’il regardait en boucle à l’atelier. J’ai alors grondé les personnages, leur demandant de s’arrêter. « Vous êtes punis ! », dis-je en pointant la porte, comme dans la séquence. Ça a eu un effet de surprise important pour lui et nous avons rejoué la scène à de nombreuses reprises durant le temps de midi. Les fois suivantes, lorsqu’il commençait à s’agiter, il pouvait dire de lui-même : « Dimitri, t’es puni ! » en me regardant avec plaisir. C’est certainement là que nous nous sommes vraiment rencontrés et que je suis devenu, plus que garant, un partenaire de son objet. Il me le confirmera plus tard quand, tandis que le matin nous regardions Baby boss à l’atelier, puisque son travail s’était exporté vers ce dessin animé, il m’a appelé Bémitri alors que jusque-là, Dimitri faisait très bien l’affaire.

Cela s’exporte et s’élargit encore aujourd’hui et il continue de me convoquer pour jouer des personnages et des mises en scène qu’il pioche dans les dessins animés qu’il affectionne pour traiter l’énigme de l’Autre. Et moi, je continue de me laisser surprendre et surtout de m’amuser dans ce rôle d’acteur/partenaire de son objet, qui est aussi un peu le mien.