Tous concernés – Jean-Luc Gillet
23 juin 2024

Illustration (détail) : Carine Amorizon – Ateliers du 94
Tous concernés
Jean-Luc Gillet
Dans l’organisation des locaux à l’Antenne 110, il n’y a pas, d’un côté, un espace dédié aux ateliers thérapeutiques et activités de la vie quotidienne des enfants, et de l’autre, un espace réservé aux travailleurs administratifs. Au contraire, l’aménagement a été pensé en termes de continuité, pour permettre une circulation et une rencontre entre les enfants et tous les membres de l’équipe, peu importe leur fonction dans l’institution, même s’ils ne travaillent pas directement dans le quotidien avec les enfants.
À cet égard, le bureau du directeur de maison fait office de nombreuses fonctions à l’Antenne 110. Il est à la fois le lieu où convergent les diverses demandes émanant des enfants et des intervenants, mais il est aussi pour les enfants lieu de passage, d’accueil, ou encore d’abri.
Le travail de Rudy, jeune enfant que nous accueillons, s’est construit précisément à partir du bureau du directeur. Rudy y vient un nombre incalculable de fois par jour. Il vient y vérifier la grille des ateliers de la semaine ainsi que les horaires des adultes. Il repère la concordance entre les deux et signale les erreurs et oublis que le responsable des horaires commet inévitablement. Cette activité de vérification et d’inscription de tous les changements d’horaires, d’ateliers lui a permis d’anticiper les modifications dans les absences et présences. Il a pu, par ce fait même, trouver à s’apaiser et accepter les changements dans sa propre grille d’ateliers de la journée.
Par ailleurs, quand un enfant vient demander un changement d’atelier ou de place à table pour le repas, par exemple, il s’agit, à l’occasion, de jouer des semblants, de faire valoir la fonction de direction et de s’en tenir à ce qui est inscrit à l’horaire. Par contre, pour un autre, en accord avec les collègues, au contraire, il convient d’accueillir cette demande particulière et de faire une place à l’exception ; passer par l’autre, par le détour de la demande, pour tel enfant est déjà une prouesse en soi.
Au moment du démarrage des ateliers, Julie fait presque systématiquement irruption dans le bureau. Elle s’assied, réclame une feuille pour dessiner, me sollicite pour que je lui dessine quelque chose, ou me demande d’écouter une chanson. Prendre acte de la nécessité pour Julie de ce petit temps d’arrêt – temps de battement précieux – lui permet, par la suite, de rejoindre sans difficulté son atelier et de s’y impliquer à sa mesure.
Encore, les bureaux administratifs peuvent, à l’occasion, servir de sas, de soupape. Ainsi, quand adultes et enfants sont envahis, quand le matériel proposé est renversé, détruit, quand malgré les offres et tentatives de l’intervenant, Arthur ne s’apaise pas, passer la main devient indispensable. Le bureau peut servir, alors, de lieu de répit. Il ne s’agit pas pour l’intervenant de se décharger de la difficulté, mais au contraire d’user de cette possibilité de permutation entre collègues, plutôt que de vouloir à tout prix prouver qu’on sait y faire avec l’enfant.
Comme l’indiquait le fondateur de l’Antenne 110, peu importe sa fonction, chaque un qui travaille dans l’institution est concerné, accepte de se laisser convoquer par les opérations de l’enfant, et tente de se faire partenaire de son travail. Chacun avec son style, son désir singulier.