Un désir orienté vers le réel -Phénicia Leroy

10 décembre 2024

                                                                                                                                                                                                                                          Illustration : Ariane Smet, Ateliers du 94

Un désir orienté vers le réel                                                                               

Phénicia Leroy

« Je savais que j’avais tout à apprendre d’eux. Je sais maintenant que l’issue qui a surgi dans mon analyse a fait que j’ai pu le faire. » Rosine lefort, Le chemin de crête sur la dune.

Depuis sa première édition, l’équipe du SASJ Les Glycines se rend à la journée d’échanges cliniques organisée par l’ASBL Autismes et Inventions. Chaque fois, c’est un moment riche d’enseignement.

Cette année, le thème qui nous rassemblait était celui de la rencontre. La conférence de Neus Carbonell, le témoignage de la mère de Briac, la discussion avec Nathalie Skowronek sont venus compléter les élaborations issues des cas cliniques présentés et discutés durant cette journée d’étude. Les témoignages au cas par cas, ressort de la psychanalyse d’orientation analytique, ont mis en évidence certaines conditions permettant la rencontre entre un sujet autiste et l’intervenant.e qui s’en fait partenaire.

J’ai été intéressée par le nouage entre rencontre et concernement, mentionné plusieurs fois pendant la journée. Évidemment, cela a fait écho au « Petit discours de Jacques Lacan aux psychiatres [1] ».

Ce que l’on rencontre en institution, c’est le réel : ce qui nous échappe, ce qu’on ne comprend pas, ce qui nous angoisse, ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire [2]. Ce réel en jeu nous concerne chacun intimement. Il importe d’« être averti de son propre réel », disait Neus Carbonell, pour apercevoir celui du sujet rencontré. Le témoignage de Rosine Lefort [3] fut mentionné pour illustrer ce lien étroit entre son analyse et son travail avec des enfants autistes et psychotiques.

Cela a aussi été évoqué durant la journée d’étude : être concerné, ce n’est pas vouloir pour l’autre, mais bien être « attentivement distrait [4] » selon la formule de Virginio Baio.

Aller à la rencontre du sujet autiste demande au clinicien un « oui » sur fond d’inconnu et d’incalculable. C’est un « oui » à se faire partenaire prêt à opérer sur mesure, « pour faire naître quelque chose », disait Neus Carbonell, et sans savoir à l’avance.

Le désir des intervenants est donc présent dans le travail en institution. On ne peut pas travailler sans désir. Il s’agit alors, en équipe, de veiller à ce que ce désir soit subtilement « orienté vers le réel ».

 

[1] Lacan J., « Petit discours aux psychiatres de Sainte-Anne », conférence au cercle d’études dirigé par H. Ey, 1967, inédit, retranscription disponible sur internet.

[2] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 86.

[3] Lefort R., « Le chemin de crête sur la dune », La Cause freudienne, n°66, juin 2007, p. 93-98.

[4] Baio V., « L’acte à plusieurs », La Cause freudienne, n°41, février 1999, p. 71.